Extrait des ROMANCES DU VENT
Pages 39-40
LE RITAL
On était au début du XXième siècle, la misère
sévissait dans le sud de l’Italie.
L’homme en avait assez, la vie était trop dure
dans son pays ; alors, il s’était arraché tout seul de son village natal,
comme une plante qui végète et aspire à plus d’espace. Il avait décollé ses
semelles du sol que tous ses ancêtres avaient foulé avant lui, bien décidé à
porter ses pas ailleurs, loin, dans un autre territoire, qu’il voyait accueillant dans ses rêves.
En partant, il n’emmenait que le
strict nécessaire, il ne s’est pas
aperçu de notre présence. Mais nous, on ne pouvait pas le laisser partir comme
ça, ce n’était pas possible, les anciens
nous en auraient voulu, surtout ceux qui n’étaient plus de ce monde, les
pères de ses pères, et même la poussière du chemin qui est notre mère, nous ont
donné l’ordre de le suivre.
Il ne voulait plus entendre
parler de sa parcelle de terre, monticule pelé, aride, ingrat, sur lequel rien
de comestible ne voulait pousser. Rayés de sa mémoire, les vieux du village qui
pleuraient son départ, oublié le soleil de plomb qui vous tanne la peau, et
vous plombe la tête ; il avait
décidé de vivre là où le climat serait doux et frais, où les arbres porteraient
des fruits juteux et sucrés.
Ses pas, il les mettait dans ceux
de cet inconnu parti au lendemain de sa naissance, assommé de chagrin parce que
sa mise au monde avait coûté la vie à sa mère. Ce jour là, son père avait
tourné le dos, et on ne l’avait jamais revu…
Son bagage n’était pas bien
lourd, mais ses bras étaient solides, il était jeune et fort ; en marchant
vers le bateau, il avait un sourire conquérant, il était prêt à aimer tous ceux
qu’il rencontrerait, avec ses longs cheveux au vent, il ressemblait à un
chevalier partant pour la croisade.