14 mars 2016

Une histoire d'émigrants


Extrait des ROMANCES DU VENT
"Le rital"
Page 43

"Le gîte et le couvert, c’était déjà quelque chose… Cette fois là, nous, on a dormi sous un pont ; mais dès le lendemain, on a trouvé un point de chute, on savait où aller, mais on avait promis de ne rien dire. Un
secret est un secret, et celui-là, même s’il ne nous appartenait pas, scellait nos lèvres.
A part ça, c’est fou le nombre de gens qui nous regardaient de travers, sans qu’on sache pourquoi. Il faut dire qu’ils étaient chez eux, et nous, non, avec, en plus, une peau trop foncée, des vêtements trop misérables, un vocabulaire trop limité. Pourtant, on faisait des efforts incessants pour communiquer avec les autres, mais on parlait avec un accent, et il y avait toujours quelqu’un pour faire remarquer qu’on ne portait pas un nom français. On nous traitait de « ritals » et c’était une insulte ! La nourriture avait un autre goût, la pluie nous dégoulinait dans le dos, nos chaussures glissaient sur les trottoirs trop lisses.
Lui, mourrait de peur qu’on lui pose la question fatale :
« Papiers ? »
L’angoisse l’habitait tout le temps.
Nous, on ne riait pas, non, mais il a fini par sentir
qu’on était là, tapis dans l'ombre, à l'observer, et il a fait semblant de ne pas s'en apercevoir."