Extrait de ÉCHEC ET MAT
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Le Roi saisit une flûte de champagne sur un plateau et s’absorba dans la contemplation des fines bulles qui flottaient sous ses yeux, elles remontaient vers lui, pour venir s’écraser et se dissoudre au bord de son verre, comme ses souvenirs.
Un murmure, à son oreille, le tira de sa méditation :
« Voyons, ne soyez pas si mélancolique, c’est une soirée de fête, ce soir ! »
Son plus vieil ami, comte et général, lui souriait d’un air aimable ; il lui répondit en tendant le bras vers la jolie sylphide qui brillait sous un lustre de Baccarat :
« Je ne suis pas triste, je pensais seulement à… »
L’autre posa une main ferme sur son avant-bras, l’empêchant, volontairement de poursuivre sa phrase. Le regard amical et compréhensif, il chuchota :
« Ne vous tracassez pas trop. Il faut bien que chacun vive sa vie ! Mais, je vous comprends, vous savez…Je vous comprends… Je sais, je sais… »
Puis, il s’éloigna en dodelinant de la tête.
Le Roi sentit un filet de sueur froide lui couler le long de la colonne vertébrale ; que savait-il ?
Et que voulait-il dire ? Il avait pris tant de soin, pendant si longtemps, à cacher la vérité. Le monde est un village, se dit-il ; ainsi, dans tous ces gens autour de lui, qui savait quoi ? Ce léger brouhaha, fait de lambeaux de conversations, d’exclamations à peine étouffées, qu’on avait peine à discerner, que recouvrait-il vraiment ? Tous ces visages polis, ces sourires hypocrites, ces regards où la jalousie et l’envie se voilaient à peine, il en avait des frissons…
L’angoisse le saisit brusquement .